Loir et lérot
Nous venons pendant trois ans de nous intéresser au Muscardin, le plus petit des Gliridés français. Privilège d’un statut patrimonial.Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de nous préoccuper des deux autres larrons : le Loir gris et le Lérot, qui animent les soirées d’été de leurs poursuites et gloussements divers. Mais que ce joyeux manège perdure, il n’y a rien de moins sûr.
Dans l’ordre des rongeurs (2478 espèces), les Gliridés partagent le sous-ordre des Sciuromorphes avec deux autres familles : les Aplodontiidés (une espèce, le Castor forestier) et les Sciuridés (292 espèces) qui regroupent notamment les écureuils, les marmottes, chiens de prairies, etc. La famille des Gliridés compte 29 espèces dont trois sont présentes en France. Elles ont en commun une période d’hibernation prolongée et l’autotomie caudale, faculté d’abandonner sa queue aux griffes du prédateur pour sauver sa peau !
Le Loir gris Glis glis
Cet animal replet est le plus costaud de la famille. Son poids moyen est de 180-200 g, mais peut accuser 400 g sur la balance avant l’entrée en hibernation. Une période au cours de laquelle son poids diminuera d’un bon tiers. Le loir est en effet le roi des dormeurs, une réputation qui n’est pas usurpée, puisqu’il entre en léthargie dès octobre pour n’en sortir qu’au mois d’avril, nonobstant quelques courts réveils de confort ! Six ou sept mois à vivre sur des réserves de graisse emmagasinées au cours de l’été. Un carburant indispensable à sa survie, qu’il constitue en consommant les fruits secs d’août et septembre : noix, noisettes, faines, glands, châtaignes... Le reste du temps, le régime est complété par les champignons, fruits, baies et parfois quelques arthropodes ou des oisillons…
Arboricole, cavernicole, et volontiers anthropophile
Inféodé aux habitats boisés le « rat-liron » poitevin mène une existence essentiellement arboricole et nocturne. C’est également au creux des arbres qu’il installe son gîte, une habitude qui l’amène aussi à utiliser les nichoirs destinés aux oiseaux. Le rupestre lui convient également, comme par exemple l’entrée des cavités naturelles ou artificielles, ou encore les anfractuosités d’un vieux pont. Il occupe aussi les maisons, notamment les combles, greniers, appentis divers, etc.
Une fois le gîte choisi, il construit un nid peu structuré, à base de feuilles principalement, ainsi que mousse et autres matériaux à disposition dans l’environnement proche. Il peut également édifier un nid aérien à l’instar de l’écureuil, mais de taille plus modeste. L’élevage des jeunes, quatre en moyenne, court d’août à septembre. Il arrive qu’un gîte soit utilisé par plusieurs femelles simultanément. Les rares données françaises à ce sujet signalent surtout deux femelles, exceptionnellement trois (Prévost C., à paraître). Pour hiberner, le loir préfère s’installer sous terre, isolément ou à plusieurs, jusqu’à une profondeur de 60-70 cm, mais un nid de mousse dans le coin d’une étagère, une boîte à chaussures ou l’intérieur d’un vieux matelas font très bien l’affaire !
Statut de conservation
Le loir, de par sa taille, reste une proie exceptionnelle pour les rapaces nocturnes de notre région. Il est par contre capturé par la fouine, la martre et entre communément dans le régime de la genette. La fragmentation des habitats est un problème qui isole les populations et contraint les loirs plutôt sédentaires à se déplacer. Il est dans ce cas régulièrement victime de la circulation routière. En milieu bâti, les chats peuvent le capturer, et il pâtit généralement des produits destinés à la destruction des rats et des opérations de lutte contre les rongeurs. Le loir ne bénéficie d’aucun statut de protection en France, mais est inscrit à l’annexe III de la convention de Berne. Il apparaît en « préoccupation mineure » dans les listes rouges française et européenne. En revanche, il est considéré « vulnérable » dans la Liste rouge des mammifères de la région Centre, ce que justifie sa répartition.
Le loir dans la Vienne
La base de données de Vienne Nature contient aujourd’hui 236 observations réparties dans 69 des 265 communes que compte le département. C’est peu pour un animal a priori assez commun. Faut-il voir dans ses mœurs nocturnes l’explication de ce faible nombre de contacts ? Pas si sûr, car si l’on considère la distribution de l’espèce dans un cadre plus large, on constate que d’une part, nous sommes presque en « bout de piste » vers l’ouest (très rare en Charente-Maritime et deux localités connues en Vendée), et que d’autre part, les observations se font rares dans le nord de la Vienne, des Deux-Sèvres et de l’Indre. Ce que confirme son absence en Loire-Atlantique, en Maine-et-Loire et les deux seules stations connues en Indre-et-Loire. Par ailleurs il est quasiment absent de Bretagne et d’Ile de France, et localisé en région Centre. Au sud, sa présence limitée en Aquitaine sinon en Dordogne et dans les Pyrénées devrait évoluer avec des recherches ciblées (Arthur, 2015). À l’est, il semble bien réparti en Limousin, surtout en Haute-Vienne et Corrèze.
Le Lérot Eliomys quercinus
Cette jolie bête à la bouille masquée et aux grandes oreilles est le plus bariolé de nos gliridés. Plus petit que le loir, son poids oscille entre 45 g et 120 g. Mais un engraissement substantiel avant l’hibernation peut lui faire dépasser les 200 g ! Le sommeil léthargique, de l’ordre de quatre-cinq mois, s’amorce en octobre dans la région. Cette période est bien plus réduite dans le sud du pays. L’alimentation du lérot est assez variée, toutefois on note une proportion assez élevée d’éléments carnés (invertébrés, petits vertébrés, œufs…). Fruits, graines, bourgeons, baies complètent son régime avec une augmentation des fruits secs en août. Moins arboricole que le loir et se nourrissant donc fréquemment au sol, le lérot est assez dépendant de la faune invertébrée de la litière, notamment des mille-pattes qu’il consomme en nombre.
Adepte des vergers
Son nom latin qui signifie « loir du chêne » indique une préférence pour les habitats boisés à dominante feuillue. Toutefois il est aussi le « rat fruitier » connu pour son attirance envers les vergers et jardins, et des habitats plus ouverts.
Le lérot est une espèce nettement anthropophile trouvant dans les murs l’équivalent des habitats rupestres qu’il affectionne. Les données locales concernent essentiellement les villages, hameaux, jusqu’au cœur des agglomérations, comme à Poitiers par exemple. Les observations de lérot forestier sont peu nombreuses, peut-être en raison d’une méconnaissance des cris de l’animal de la part des observateurs. Cavernicole et adepte des nichoirs comme le loir, le lérot est aussi un constructeur de nids aériens, boules de mousse édifiées parfois sur la base d’un nid de passereau abandonné. Le diamètre n’excède pas une vingtaine de cm. De la même façon que le loir, le lérot se rapproche en hiver du sol pour établir son gîte d’hibernation. On le trouve fréquemment dans les maisons.
Statut de conservation
Plus terrestre que le loir et de taille plus modeste, le lérot est assez régulièrement capturé par l’effraie des clochers et la hulotte. Par ailleurs dans les habitats anthropiques qu’il occupe il est une victime toute désignée des chats qui peuvent réduire à néant des populations entières, ainsi bien entendu que des produits rodenticides. Il existe même des produits spécifiques pour sa destruction. Comme le loir, il ne possède aucun statut de protection en France. Les Listes rouges l’inscrivent en « préoccupation mineure », un statut qui pourrait bien évoluer, car une régression marquée de l’aire de distribution européenne est constatée au cours des dernières décennies. Il est ainsi éteint en Lituanie, Finlande, Slovaquie, Biélorussie probablement, et proche de la disparition aux Pays-Bas, Pologne, Slovénie. En 2015, le lérot n’occupe plus que 48 % du territoire européen qui était le sien en 1978, et 67 % de sa distribution de 2008. Même dans le sud-ouest de l’Europe, où l’espèce est bien implantée, des indicateurs alertent sur sa diminution (Bertolino, 2017).
Les causes, sans doute multiples, ne sont pas clairement identifiées, mais cette contraction considérable de l’aire de répartition du lérot nécessite une expertise et un suivi, même local, des populations.
Le lérot dans la Vienne
Nous comptabilisons aujourd’hui 186 données réparties dans 112 communes de la Vienne. Le profil de cette répartition est donc très différent de celle du loir. Il convient aussi de préciser que nous sommes redevables à l’Effraie des clochers de plus de la moitié de ces données, ce qui influe nettement la distribution des communes de présence majoritairement concentrées dans les deux tiers est du départe-ment. Les autres sources concernent tant des animaux morts (prédation, voiture) que vivants (reproduction, hibernation). Le lérot semble donc largement réparti dans notre département malgré un nombre de données encore plus faible que pour le loir.
À la recherche du loir et du lérot
L’idée est de porter une attention particulière à ces deux rongeurs afin de préciser leur répartition et si possible leur fréquence dans le département. Les cadres de répartition à la commune nous indiquent les zones à couvrir. Comme le montrent les illustrations de cet article, il n’y a aucune difficulté à différencier ces espèces. Mais les observations en visuel sont plutôt rares en raison de l’activité nocturne des animaux. La meilleure façon de repérer le loir et le lérot sont leurs émissions sonores. Ils sont assez distincts pour permettre une identification aisée.
Le cri du loir la nuit :
Lérots :
Les bonnes périodes
Août et septembre sont les mois du loir qui crie beaucoup et défend son territoire d’alimentation contre ses congénères avec vigueur. Mais il est possible aussi de l’entendre en juin-juillet. Le lérot se fait entendre un peu plus tôt, surtout en juillet-août. Je ne sais pas si la repasse fonctionne avec ces deux espèces, mais cela pourrait faciliter les choses et mérite d’être essayé.
Extrait de la revue trimestrielle de Vienne Nature, printemps 2020 (Olivier Prévost)